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Avec l’IA, à quoi bon encore apprendre ?

  • Photo du rédacteur: Victor Jeoffre
    Victor Jeoffre
  • 29 oct.
  • 5 min de lecture

Paradoxalement, jamais le savoir n’a été aussi accessible, et jamais l’envie d’apprendre n’a paru aussi fragile. Entre promesses d’efficacité et vertige du remplacement, l’intelligence artificielle redéfinit la valeur même de l’apprentissage.


En 2025, l’intelligence artificielle n’est plus un gadget de laboratoire : elle est devenue le prolongement naturel de notre cerveau. De ChatGPT à Gemini, des traducteurs automatiques aux correcteurs stylistiques, les outils capables d’écrire, d’expliquer, de résoudre et même de raisonner à notre place se sont invités partout : dans les écoles, les entreprises, les foyers.

Alors une question se pose, provocante mais sincère : pourquoi continuer à apprendre ? Quand une machine peut synthétiser Kant, écrire un CV, résoudre une équation ou traduire un texte latin en un clic, que reste-t-il à l’esprit humain ?

C’est à ce vertige que répond la philosophe Camille Dejardin dans son essai À quoi bon encore apprendre ? (Gallimard, 2025). Elle y décrit notre époque comme celle d’une externalisation du savoir : « L’IA, en tant que faculté externalisée, ou plus exactement en tant que prothèse plaçant la réalisation de tâches hors de nous, ne menace pas l’apprentissage : elle le remplace. »



La tentation du savoir sans effort

Depuis Internet, l’accès à la connaissance s’est démocratisé. Mais avec l’IA générative, une étape supplémentaire a été franchie : l’effort de chercher, de comprendre ou de mémoriser devient optionnel. Une étudiante confiait récemment à Le Monde : « Avec ChatGPT, j’ai parfois l’impression de ne plus savoir apprendre. » Cette phrase, presque anodine, résume une inquiétude collective : le risque d’un désapprentissage généralisé.

Car si l’IA répond, elle ne forme pas. Elle ne donne ni le sens de l’effort, ni la capacité à douter, ni l’esprit critique. Elle offre des résultats, pas un cheminement. Or, c’est justement dans ce cheminement — dans la lenteur, l’approximation, la correction — que se construit la pensée.

Camille Dejardin le rappelle : « Apprendre, ce n’est pas seulement assimiler un contenu. C’est savoir examiner, trier, évaluer. » Autrement dit, apprendre, c’est exercer son jugement. Et c’est bien ce jugement, pas la somme d’informations, qui risque de s’éroder à force de déléguer.



L’apprentissage, une expérience humaine avant tout

L’IA peut imiter la logique, pas l’expérience. Elle peut formuler des réponses, pas traverser le doute, la fatigue ou la joie qu’il y a à comprendre enfin quelque chose.

Pour Camille Dejardin, l’apprentissage est d’abord une transformation de soi : « Une transformation que l’on peut appeler expérience, perfectionnement, aguerrissement ou encore réalisation… et qui pourrait bien constituer le sens même de la vie. » Apprendre, c’est se modifier intérieurement. Et aucune machine ne peut vivre cela à notre place.

Cette idée résonne avec une analyse publiée par la Harvard Business Review : dans un monde saturé d’automatisation, la vraie compétence n’est plus de « savoir » mais de savoir apprendre. L’article souligne que « l’agilité intellectuelle, la capacité d’expérimenter et de s’adapter » deviennent les moteurs d’une main-d’œuvre capable de collaborer avec l’IA plutôt que de la subir.

Autrement dit : apprendre n’est plus une fin, mais une pratique permanente, un état de mouvement. Le savoir figé meurt ; la curiosité, elle, s’adapte.



Dans son ouvrage "À quoi bon encore apprendre ?", paru à l'été 2025 chez Gallimard, la philosophe Camille Dejardin explore la notion d'apprentissage à l'ère de l'IA, un ouvrage qui donne de l'espoir... et livre quelques mises en garde. A lire !
Dans son ouvrage "À quoi bon encore apprendre ?", paru à l'été 2025 chez Gallimard, la philosophe Camille Dejardin explore la notion d'apprentissage à l'ère de l'IA, un ouvrage qui donne de l'espoir... et livre quelques mises en garde. A lire !

Apprendre avec l’IA, pas contre elle

On aurait tort d’opposer l’humain et la machine. L’IA peut être un levier d’apprentissage extraordinaire, si elle est bien utilisée. L'UNESCO, dans son rapport AI and the Future of Education, insiste sur ce paradoxe : l’IA offre un potentiel immense pour personnaliser l’éducation, mais elle risque aussi de « déplacer le centre de gravité de l’élève vers l’outil ».

Pour éviter cette dépendance, il faut redonner à l’élève, à l’étudiant, à l’adulte en formation, le rôle d’auteur. Utiliser l’IA pour comprendre, explorer, tester — pas pour déléguer entièrement. La clé, comme l’écrit la philosophe américaine Shoshana Zuboff dans The Age of Surveillance Capitalism, est de ne pas confondre assistance et aliénation. L’IA doit être un allié cognitif, pas une béquille permanente.

Les pédagogues s’accordent sur un point : l’apprentissage du futur sera plus actif, plus expérientiel. On apprendra en faisant, en créant, en résolvant des problèmes réels. L’IA deviendra un partenaire de jeu intellectuel, une sorte de miroir intelligent permettant d’expérimenter de nouvelles formes d’intuition.

Mais pour que cette alliance soit fructueuse, encore faut-il conserver une boussole humaine. Le risque, sinon, est de produire des générations techniquement compétentes mais dépourvues de sens critique — des utilisateurs, pas des apprenants.



Ce que l’IA ne sait pas faire : douter, relier, imaginer

Les spécialistes de l’éducation comme les chercheurs en neurosciences le répètent : l’apprentissage ne consiste pas à accumuler de l’information, mais à relier des connaissances. À construire des représentations mentales.

Or, si l’IA excelle dans la compilation, elle ne maîtrise pas le lien. Elle ne fait pas d’analogies nouvelles, ne ressent pas la surprise de la découverte, ne produit pas l’intuition.C’est là que l’humain garde l’avantage. Apprendre, c’est bâtir des ponts invisibles : entre des idées, des émotions, des expériences vécues.

Camille Dejardin va plus loin : en abandonnant l’effort d’apprendre, nous perdrions non seulement une compétence, mais une part de notre humanité. « C’est la perte des relations logiques et des ordres de grandeur », écrit-elle, « qui nous rendra vraiment dépendants des machines. »

Autrement dit, ne plus apprendre, c’est devenir étranger à soi-même.



Le vrai enjeu : apprendre à apprendre

En 2025, la question n’est plus « faut-il encore apprendre ? », mais comment apprendre à l’ère de l’IA ?

Les entreprises l’ont compris : la « AI fluency », c’est-à-dire la capacité à comprendre, dialoguer et travailler avec l’intelligence artificielle, est devenue une compétence stratégique. Mais cette maîtrise n’a de sens que si elle repose sur des savoirs humains solides : éthique, créativité, pensée critique.

L’éducation, elle, se réinvente. De plus en plus d’universités françaises — Sorbonne, Sciences Po, Polytechnique — intègrent l’IA dans leurs programmes tout en maintenant des cours de philosophie, d’écriture et de logique. Parce que comprendre les machines suppose d’abord de comprendre l’humain.



Une réconciliation plutôt qu’une abdication

Alors, à quoi bon encore apprendre ? Peut-être justement pour ne pas laisser les machines apprendre seules. Parce qu’apprendre, c’est aussi garder prise sur le monde. C’est refuser le pilotage automatique. C’est exercer sa liberté.

L’intelligence artificielle nous pousse à redéfinir ce que signifie « savoir ». Elle nous oblige à reconnaître que le savoir disponible n’est pas forcément le savoir vécu. Et elle nous rappelle, à sa manière, que la connaissance n’a de valeur que si elle se traduit par une conscience.

Dans un monde où tout s’automatise, apprendre devient un acte de résistance douce : une façon de demeurer curieux, faillible, vivant.

Comme l’écrit Camille Dejardin, « le véritable enjeu n’est pas de savoir ce que l’IA fera à notre place, mais de décider ce que nous voulons continuer à faire nous-mêmes. »

En 2025, apprendre n’est donc pas un anachronisme. C’est un choix de civilisation.


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